Il Secondo Sesso: La sphère assignée des italiennes

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Nous connaissons tous le cliché de la Mamma qui reste à la maison pour faire ses pâtes. Mais aujourd’hui, qu’en est-il?

Je veux comprendre où en est la situation des femmes en Italie, pays
de traditions, symbole du machisme, mais aussi d’une Europe en pleine évolution. Le pays est classé 82ème sur 144 pays sur l’égalité homme/ femme au Gender Gap Report, alors que le Rwanda y est classé 4ème, la France 11ème.

J’ai donc pris mon appareil photo, mes questions plein la tête et j’ai traversé le sud de l’Italie dans sa totalité, pris des bus, des trains, des voitures par dizaines, allant de grandes villes en petits villages typiques. Au fil de mon voyage, de mes interviews, de mes rencontres, je m’aperçois que c’est avant tout de mentalité dont il est question.

Moi, j’aurais aimé être institutrice

(Maria, 68 ans)

Dans certains endroits, les moeurs sont ancrées, persistantes, et les femmes elles-mêmes sont parfois les premières à s’en accommoder. Quand je parle aux générations passées, à ces grands-mères, elles ont rarement, voire jamais eu l’occasion de faire des études. L’école élémentaire aura été la fin de leur scolarité, après il fallait travailler.

« Moi, j’aurais aimé être institutrice » se démarque Maria.
Car la majorité n’ont pas de regrets, elles ont été heureuses.
Je retrouve la simplicité du temps passé, là où la famille était plus importante que tout, où le partage, les origines et les mœurs avaient une vraie place. Mais l’aveu d’un manque de liberté est imminent. Elles ne pouvaient pas sortir quand elles voulaient, elles ne pouvaient pas dire ce qu’elles pensaient, et l’asservissement à l’homme était normalité.

« C’est la place de la femme », selon Gianluca, 28 ans, originaire de Bari et éduqué par une famille conservatrice: « Une femme doit rester une femme, sensible et aimante et un homme doit être fort et puissant il doit protéger sa famille, car les femmes ont peur de tout et ne peuvent pas gérer une famille entière seule (…) chacun doit rester à sa place, ça ne peut pas marcher sinon. »

Je suis de ceux qui pensent que les femmes sont plus fortes que les hommes

Francesco, 51 ans

Tous ne pensent pas comme Gianluca. J’ai d’ailleurs rencontré des hommes plus féministes même que leur propre femmes, comme Francesco, 51 ans.
« Je suis de ceux qui pensent que les femmes sont plus fortes que les hommes. Je l’ai compris avec l’expérience, elles sont aussi meilleures dans le domaine professionnel car elles sont plus sérieuses et multitâches. »

Sa femme Cinzia est fille de professeur, petite fille d’avocats, sa maman à été l’une des premières diplômées de Basilica, région du Sud de l’Italie. Elle est consciente de l’exceptionnalité de son parcours et reste persuadée qu’il y a encore une longue bataille à mener pour l’égalité.

Elle m’explique qu’elle est à la tête d’une entreprise d’import export, que, sur 50 employés, il n’y a seulement que 3 femmes et qu’elle ne touchera jamais le salaire de ses prédécesseurs masculins.

Les femmes sont plus nombreuses à poursuivre des études, ont de meilleurs résultats, sont plus diplômées, mais visiblement c’est insuffisant. Car ce sont également les femmes qui sont les moins payées (20% de moins en moyenne), ce sont elles qui sont les plus touchées par le chômage et la précarité et ce sont également à elles de faire le choix entre une carrière professionnelle et une vie familiale. Nous devons être femmes, mères, amantes, épouses et professionnellement irréprochables, tout en se battant aussi parfois pour une once d’équité et de respect.

Quand nous avons demandé aux femmes du village de se joindre à nous, la majorité nous ont répondu qu’elles n’avaient pas besoin d’être émancipées.

A Leuca, village le plus au sud de la botte italienne, un collectif de femmes organise une « marche blanche » pour lutter en faveur de l’émancipation des Italiennes. « Quand nous avons demandé aux femmes du village de se joindre à nous, la majorité nous ont répondu qu’elles n’avaient pas besoin d’être émancipées. »

Sans aucun jugement à l’égard du choix de ces dames, l’organisatrice de cet événement a seulement le désir d’ouvrir l’esprit aux gens: « Je pense, pour agir en faveur du féminisme, qu’il faut regarder comment les autres pays fonctionnent. Il y a des pays où les droits des femmes sont complètement bafoués et d’autres où elles ont autant de droits que les hommes, il faut s’inspirer de ces derniers. »

Ici et dans de nombreux autres villages Italiens, une femme a l’interdiction d’aller dans un bar le soir, ou de se promener avec un homme qui n’est ni son fiancé ni son mari. Certes, les traditions créent notre identité, mais elles occultent également certaines de nos libertés.

1/4 des italiennes n’a pas d’enfant. Un autre quart n’en a qu’un seul.

La mère au foyer fait partie de l’ADN de ce pays, mais ce statut a longtemps été subi par beaucoup d’italiennes. Aujourd’hui, le taux de fécondité de l’Italie est l’un des plus bas au monde. De plus, faute d’un manque sévère d’aides sociales et du choix d’un épanouissement professionnel, les italiennes tardent à faire leur premier enfant: 31,6 ans contre 28 ans pour les françaises.

Pour mieux comprendre, je rencontre Raffaella, une sage femme de 38 ans basée sur Naples. Elle me parle du projet « materno infantile » qui, en Italie, fait bénéficier les jeunes mamans venant de milieu défavorisé d’une continuité d’assistance à la maison, mais, dans le sud, cette mesure n’est pas appliquée. Elle me parle du manque flagrant de prévention et de planification familiale. Et, enfin, elle me parle d’avortement: dans son hôpital, sur 12 sages femmes, une seule accepte de le pratiquer. Il n’y a donc pas le temps d’écouter la patiente, pas le temps pour un quelconque suivi psychologique.

Quel à été le véritable point de départ de cette discrimination incessante? Mais, surtout, quand cela cessera-t-elle ? Le sexisme étant continuel, fondu dans notre quotidien. Dans les publicités, nos actes journaliers, nos blagues, nos pensées. Nous construisons notre vie avec, le futur de nos enfants, avec toutes ces habitudes, ces a priori, ces jugements, ces idées reçues. Il n’est donc pas étonnant de voir que c’est en moyenne à partir de 6 ans que les petites filles se sentent inférieures aux garçons.

Peut-être ne mesurons nous pas l’impact de toutes ces petites choses sur la confiance données aux femmes, aux filles, envers elles-mêmes et vis à vis des autres. L’éducation est certainement une des solutions à une profonde et durable évolution vers un concept équitable et équilibré.
Persuader une personne de son incapacité, c’est aussi lui retirer tout pouvoir de liberté.

Texte et photographies Tixier-lamaison Nadège ©